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07/05/2010

LOUIS XVII

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Le Dauphin dans la tourmente révolutionnaire

Menant une existence protégée à Versailles, entouré de l’amour des siens et de l’attention de la Cour, l’enfant royal vit dans l’insouciance -et sans doute dans l’ignorance -le fatidique été 1789. Il ne prend sans doute conscience de la violence révolutionnaire que lorsque celle-ci vient frapper à la porte du château les 5 et 6 octobre 1789. Au cours de ces journées, des femmes parmi lesquelles des hommes déguisés forcent les portes du château et emmènent de force la famille royale à Paris, derrière les têtes coupées de quelques gardes, promenées en tête de cortège. Premier traumatisme pour le tout jeune Dauphin.

Le lendemain matin, effrayé d’entendre à nouveau des manifestants devant le nouveau château, le jeune garçon se jette dans les bras de sa mère : « Maman ! Est-ce qu’aujourd’hui est encore hier ? » demande-t-il, terrorisé à l’idée de revivre ce cauchemar.

Le second traumatisme d’importance a lieu au retour du fameux voyage de Varennes, le 22 juin 1791, lorsqu’une foule de révolutionnaires déchaînés escorte la voiture du roi jusqu’à Paris, au cours d’un périple de trois jours sous une chaleur accablante, et pendant lequel un noble puis un prêtre furent sauvagement massacrés sous les yeux du couple royal et de ses enfants.

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Arrestation de Louis XVI et de sa famille chez le procureur de la commune à Varennes.

Pendant le terrible voyage du retour de Varennes, Louis-Charles s’attristait davantage de l’affliction de ses parents que de son propre sort. Il fut ainsi fort peiné d’entendre son père décrire ainsi la situation en la comparant à la glorieuse visite qu’il avait faite en 1786 au port militaire de Cherbourg, et pendant laquelle tout son peuple l’avait acclamé, alors qu’il descendait dans les auberges et se mêlait à lui, prenant des bains de foule et faisant la charité à tous : « C’est, monsieur, un bien triste voyage pour mes enfants. Quelle différence avec Cherbourg ! La calomnie à cette époque n’avait point encore égaré l’opinion. Comme les esprits sont prévenus ! Comme les têtes sont montées ! On peut me méconnaître, mais on ne me changera pas, moi; l’amour de mon peuple demeurera le premier besoin de mon coeur, comme il est le premier de mes devoirs. »

Ainsi parlait le Roi. Quand Louis-Charles entendit ces paroles édifiantes, une grosse larme roula sur sa joue. Alors cet enfant, avec tendresse et dignité, prit la grosse main de son père dans les siennes, minuscules, et y déposa un baiser. Et, ignorant son propre chagrin, sa propre peur et les symptômes dus à l’insolation et au manque d’air, il entreprit de consoler son père avec une touchante abnégation, luttant pour produire un sourire réconfortant à travers ses larmes. « Ne vous attristez point, mon père, une autre fois nous irons à Cherbourg. »

La Famille Royale en prison

Toute la vie de Louis-Charles s’écroule le 10 août 1792, lorsque les gardes fédérés et les sans-culottes levés par les factions investissent les Tuileries et perpétuent un abominable massacre sur la garde suisse qui s’était rendue. Louis-Charles n’assiste pas à cette scène, car il est prisonnier avec sa famille dans la loge du logographe à l’Assemblée Nationale. A partir de cet instant, il ne connaîtra plus jamais la liberté. Violemment perturbé par l’irruption dans la salle des délibérations de soudards couverts de sang qui menacent de mort le Roi, Louis-Charles est transféré avec les siens dans la forteresse du Temple le 13 août. Il n’en ressortira jamais plus.

Au début, la famille royale est réunie. L’enfant partage sa captivité avec ses parents, sa soeur aînée Marie-Thérèse, sa tante Madame Elisabeth et deux fidèles serviteurs nommés Hue et Cléry. De nombreux livres sont accessibles dans les archives de la forteresse, ce qui permet aux adultes de poursuivre l’instruction et l’éducation des enfants, le tout au milieu des brimades quotidiennes de gardiens fanatisés. Louis-Charles, pourtant, ne se départ pas de sa joie de vivre, heureux de passer du temps avec son père, et trouvant toujours à s’occuper entre ses leçons, ses jouets et ses promenades dans la cour -même si ces dernières sont l’occasion d’un redoublement de vexations de la part des gardes.

Séparé une première fois de sa mère, le garçon vit un mois en compagnie de son père, puis est remis aux femmes pendant toute la durée du procès de Louis XVI. Il ne reverra son père que la veille de son exécution. La scène est déchirante. Louis XVI fait promettre à son fils de pardonner à ses bourreaux, et de ne jamais chercher à venger sa mort. Louis-Charles n’oubliera jamais cette recommandation et s’efforcera jusqu’à la fin de sa courte vie à chasser toute haine de son coeur. Le lendemain matin, 21 janvier 1793, son père est guillotiné. Tandis qu’on emmenait son père, l’enfant se jetait aux pieds des gardes en leur suppliant de le laisser descendre pour parler aux révolutionnaires et leur implorer d’épargner son père. Mais en vain : à dix heures vingt ce jour-là, Louis-Charles devient Louis XVII. Il avait bientôt huit ans.

 

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Les enfants de Louis XVI

Sa mère fait venir des vêtements de deuil pour elle et ses enfants. Vêtu d’un costume noir, Louis-Charles continue à étudier avec sa mère et sa tante Madame Elisabeth. Les jours où les gardiens en faction se montrent compatissants, elle lui apprennent des chansons. La belle voix du jeune garçon résonne alors dans la lugubre tour...

 En mai, Louis-Charles tombe gravement malade. Il est alité et a une très forte fièvre. Les conditions de vie insalubres qu’on lui inflige depuis neuf mois l’ont rendu tuberculeux. Pendant deux ans, il luttera avec une robustesse étonnante contre cette maladie qui finira par avoir raison de lui... ainsi que les mauvais traitements qui vont dès lors devenir insoutenables.

 

La cruelle tutelle de Simon

Le 3 juillet 1793, le petit garçon tuberculeux est arraché sans ménagement à l’amour de sa mère et de sa famille.Marie-Antoinette s’agenouilla à la hauteur de son enfant et le prit dans ses bras. Comme le petit garçon est suffoqué par les sanglots, elle fixe son attention en le regardant bien en face et en lui parlant d’une voix douce, les mains sur ses épaules étroites agitées de soubresauts. « Mon enfant, nous allons nous quitter. Souvenez-vous de vos devoirs quand je ne serai plus auprès de vous pour vous les rappeler. N’oubliez jamais le bon Dieu qui vous met à l’épreuve, ni votre mère qui vous aime. Soyez sage, patient et honnête, et votre père vous bénira du haut du ciel. »

Puis elle fait un dernier câlin au petit. Après cela, elle confie l’enfant en larmes aux commissaires. Louis-Charles commence par faire un pas vers la porte, mais cet horrible pressentiment qu’il ne reverra plus jamais sa mère est toujours là, et au moment de franchir le seuil il échappe à ses geôliers et court se réfugier dans les bras de Marie-Antoinette. Fou de chagrin, il enfouit son visage dans la robe de sa mère. « Allons, il faut obéir, il le faut », dit la Reine en s’évertuant à paraître forte et digne, mais déjà sa voix s’éteint dans les sanglots, et on sent tout l’effort que lui coûte cette simple phrase.

 

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Louis XVII enlevé à sa famille ; peinture de Jean-Jacques HAUER   

Désormais, Louis-Charles devra vivre au second étage de la tour, sous la tutelle du cordonnier Antoine Simon, un révolutionnaire fanatique que la Convention a chargé « d’éduquer » le jeune roi pour en faire un parfait sans-culotte. Ne pouvant sacrifier un tel otage, les révolutionnaires ont trouvé une solution intermédiaire pour éliminer cette incarnation de la royauté qu’est Louis-Charles : en faire un souverain sans-culotte.

Tous les jours, le petit garçon subit rosseries et humiliations. Terrorisé, ployant sous les coups, ne cessant de pleurer l’absence de sa mère à laquelle on l’a arraché pour le livrer à Simon, il est sommé de jurer fidélité à la République, et d’apprendre par coeur des chants révolutionnaires et paillards. Il résista noblement au début, exigeant même qu’on lui montrât le décret ayant ordonné tant de souffrances, puis, brisé, il dut se soumettre à toutes les exigences de son maître.

 

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Pour Louis-Charles les humiliations étaient pires encore quand Simon amenait avec lui dans la tour ses amis de beuverie, devant lesquels il aimait se vanter, démonstration à l’appui, de mater le jeune Roi de France. Le 6 août, la ville de Montbrison s’étant soulevée contre l’oppression au cri de « vive le Roi Louis XVII! », Simon présenta le petit Prince à la cantonade en déclamant : « Voici le Roi de Montbrison. Je m’en vais l’oindre, l’encenser et le couronner! »

Et, joignant le geste à la parole, il l’oignit en lui renversant son verre sur la tête et en lui frottant douloureusement les cheveux, l’encensa en lui soufflant des bouffées de sa pipe à la figure et le couronna en le coiffant du bonnet phrygien. Tous les convives hurlaient de rire, monstres se pâmant devant les sévices infligés à un enfant. Devant la petite figure rouge de colère et de honte de Louis-Charles, l’immonde précepteur demanda alors à sa jeune victime : « Que me ferais-tu, Capet, si tes amis te délivraient et si tu devenais Roi de France pour de vrai? »

Et alors cet enfant, cet enfant qui avait les meilleures raisons du monde pour souhaiter le malheur de Simon, cet enfant imposa le silence et le respect à tout le monde en répondant : « je vous pardonnerais ».

Ce jour-là, à n’en pas douter, le bon Roi Louis XVI dut, comme l’avait dit Marie-Antoinette, bénir son enfant du haut des cieux. Car il fallait voir avec quelle grandeur d’âme son fils honorait ses dernières volontés! Car c’était ainsi que ces deux grands Rois martyrs (le jeune âge du second n’excluant pas la grandeur) se vengeaient de leurs bourreaux : par leur invincible Pardon.

 

En octobre, le journaliste Hébert, le procureur Chaumette et le maire Pache conçoivent un plan répugnant (et parfaitement inutile) pour charger le dossier d’accusation de Marie-Antoinette dont le procès va s’ouvrir. Simon sera leur instrument. A force de coups, de jeûnes forcés, de saouleries et de menaces de guillotine -menaces qui faisaient s’évanouir de terreur le pauvre enfant-, Simon et ses commanditaires parvinrent à contraindre Louis-Charles, en présence de sa soeur et de sa tante, à confirmer et à signer, alors même qu’il n’en comprenait pas le sens, une déposition écrite et inventée de toutes pièces par l’infâme Hébert, et qui accusait Marie-Antoinette d’attouchements. La signature de l’enfant au bas du procès verbal, tremblée et méconnaissable, est un aveu criant des mauvais traitements qu’il subissait, de son bouleversement, de son état de délabrement psychologique et de la violence qu’on lui faisait pour qu’il exécute l’horrible volonté de ses tortionnaires.

 

L’emmurement et l’agonie

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Louis XVII dans sa prison, par Jean-Baptiste MEUNIER

Malgré tout ce que Louis-Charles avait déjà subi, le pire n’arriva que le 19 janvier 1794, quand la Convention décida qu’elle avait assez perdu de temps avec le petit roi. Commence alors la période de l’emmurement, qui durera six mois. Le jeune roi, qui va sur ses neuf ans, est jeté au fond de sa chambre, dont on condamne la porte. Pendant six mois sans interruption, il vivra dans cette pièce minuscule, où n’entre pas même la lumière du jour puisque la fenêtre, comme la porte, est condamnée. La nourriture lui est passée à travers un guichet. Aucun accès au cabinet d’aisance : l’enfant, qui est déjà malade, va vivre pendant six mois au milieu de ses déjections. Il n’a ni visite, ni lumière, ni livre, ni jouet pour se distraire. Terrorisé, malade, rejeté de tous, écrasé par le chagrin, il est sur le point de mourir d’inanition lorsque Robespierre est renversé le 28 juillet 1794 (9 thermidor). Le soir même, Barras, nouvel homme fort du régime, se rend à la prison du Temple et fait sortir l’enfant de son isolement. Louis-Charles est dans un état qui dépasse l’imagination. Sa seule parole, lorsque ses nouveaux geôliers ouvrent enfin la porte de sa cellule après six mois d’isolement, est pour leur dire qu’il voudrait mourir.

Il faudra pourtant attendre encore un mois pour que ses gardiens le lavent, le soignent, lui coupent les cheveux et les ongles, l’habillent de linge frais et nettoient sa chambre de fond en comble. Trois gardiens se succèderont d’ici la mort de l’enfant : Christophe Laurent, Jean-Baptiste Gomin et Etienne Lasne. Ces hommes se montrèrent humains et firent de leur mieux, dans la mesure de leurs maigres moyens, pour adoucir le sort de l’enfant royal et le distraire un peu. Mais Louis-Charles est au-delà de cela désormais : en état de catalepsie, tuberculeux au dernier degré, il n’a plus aucune force et ne parle presque jamais, sauf pour donner des réponses très brèves que ses gardiens doivent lui soutirer avec insistance. Il ne gémit même pas de douleur, alors que ses poignets et ses genoux sont noués par une arthrose tuberculeuse qui le fait terriblement souffrir. Il a bien trop peur des hommes désormais pour leur faire confiance, et seules les cajoleries d’une mère pourraient peut-être l’aider à sortir de son silence.

Et justement, toutes les pensées de l’enfant vont vers sa mère. Il ignore que Marie-Antoinette a été guillotinée le 16 octobre 1793, et pense qu’elle est toujours enfermée au troisième étage de la tour. Un jour, rassemblant ses dernières forces et ses dernières volontés, l’enfant moribond, qui ne parle presque jamais, demande à Gomin de le laisser revoir sa mère une dernière fois avant de mourir. Une requête que le gardien ne peut évidemment accorder.

 Une semaine plus tard, le garçon entre dans le dernier tournant de son agonie. Il ne lui reste plus que deux jours à vivre, et c’est alors, et seulement alors, que le médecin décide de le tirer de son cachot pour l’allonger dans une belle chambre bleue, illuminée par le soleil, à l’autre bout du bâtiment. Louis-Charles a l’air de s’y remettre, mais au matin du dernier jour, son mal a tant empiré qu’il en devient intransportable. Veillé par Gomin et Lasne, le petit garçon souffre terriblement. Sa maladie a en effet dégénéré en péritonite tuberculeuse. Délirant de fièvre, il croit entendre sa mère chanter. Retrouvant un ultime éclair de joie, il se redresse, tire sur le bras de son gardien, se penche pour lui faire une confidence...et meurt dans ses bras. En ce 8 juin 1795, le petit martyr s’en est allé. Il avait dix ans, deux mois et douze jours.

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S.A.R. Louis Alphonse de Bourbon (Louis XX)

S.A. le duc d’Anjou tient l’urne en cristal qui contient le cœur de Louis XVII lors de la cérémonie solennelle de déposition de cette relique dans la Basilique de Saint-Denis, à Paris, le 8 juillet 2004