09/02/2013
LORRAINS ET ALSACIENS DANS LES GUERRES DE L'OUEST
La Lorraine a gagné en Vendée une bienheureuse, Soeur Odile Baumgarten, née le 15/11/1750 à Gondrexange dans le pays des étangs ; son histoire tragique et glorieuse était cependant déjà évoquée depuis 1953 sur les beaux vitraux de l'église de son pays natal, comme elle l'était sur ceux de la chapelle du Champ des Martyrs d'Avrillé près d'Angers. Postulante des Filles de la Charité dans notre vieil hospice S.-Nicolas, elle quitta la Lorraine en 1775 pour Paris, puis pour l'Ouest. Arrêtée à l'hôpital S.-Jean d'Angers, elle fut fusillée le 1e r février 1794, enchaînée à Soeur Marie-Anne dont elle partage la gloire.
Nicolas Stofflet est né en Lorraine, le 3 février 1753, sous le règne débonnaire du roi Stanislas, à Bathelémont-lès-Bauzémont, tout petit village entre Luné ville et Vic-sur-Seille. Son père y était meunier. L'essentiel de sa foi religieuse lui fut communiqué par sa mère Barbe Mézier, âme pieuse, forte et simple, comme on en rencontre de nombreuses dans la campagne lorraine et comme l'était certainement aussi, près de là, à Gondrexange, Catherine Gadel, mère de soeur Odile Baumgarten, la martyre d'Angers. Après avoir servi 17 ans dans Lorraine Infanterie, Stofflet fut racheté par le comte Colbert de Maulévrier, alors en garnison à Lunéville. Stofflet lui aurait sauvé la vie ainsi qu'à sa fille au cours d'une chasse au sanglier ; mais il est possible aussi que le comte de Maulévrier ait fait la connaissance de Stofflet, grâce à la soeur de celui-ci, « belle et vertueuse personne » qui s'occupait des enfants Colbert (Voir le livre d'Edmond Stofflet, imprimé à Pont à Mousson). Alors que Stofflet était garde des bois dont jouissaient les officiers du corps de la gendarmerie de Lunéville, il avait connu et accompagné à la chasse le Marquis de la Rochejaquelein, père du généralissime vendéen, dont il devait recueillir ultérieurement la succession. Signalons en passant que les Messins ont oublié que le comte Colbert de Maulévrier, pendant son ambassade dans l'Electorat de Cologne, s'était acquis leur reconnaissance en 1789, en assurant le ravitaillement de la ville. Le Comité municipal de Metz lui avait écrit le 11 novembre 1789 une longue lettre de remerciements dont nous extrayons ce court passage : ... « Vous avez été Monsieur, le bienfaiteur signalé de cette ville, Metz vous voue une reconnaissance tant de ce que vous avez fait, que de ce que vous voudrez faire pour elle... ».
Mais en 1787, c'est en Anjou que Stofflet est garde des bois et commis facteur du comte de Maulévrier ; sa qualité d'étranger au pays et ses fonctions de garde-chasse ne l'ont pas empêché de prendre un grand empire sur les paysans, tous cependant, peu ou prou, braconniers. Le 13 mars 1794, les conscrits d'Yzernay qui ont refusé « d'aller tirer à la milice » et qui ont rossé les cavaliers républicains envoyés pour rétablir l'ordre, viennent chercher Stofflet dans la forêt de Maulévrier où il s'était réfugié à la suite des premiers excès révolutionnaires et où, attendant les événements, il occupait son temps à fabriquer des munitions. Avec eux se trouvait le bisaïeul de René Bazin, régisseur du comte de Colbert et futur lieutenant du garde-chasse.
Les gars d'Yzernay, réuni avec ceux de Maulévrier vont devenir les futurs grenadiers de Stofflet. Ils prennent le château de Vezins, ce qui leur amène des renforts considérables en particulier, les hommes rameutés autour de Tonnelet, autre garde-chasse de Colbert de Maulévrier. Réunis aux insurgés de S.-Florent, conduits par Cathelineau, le futur généralissime, ils prennent le nom d'armée catholique (et non encore royale) et, par acclamation, élisent comme premier général de l'insurrection de l'Ouest, le Lorrain Stofflet.
De La Gorce décrit ainsi la rencontre entre les gens de Cathelineau et ceux de Stofflet : « Comme après avoir longé le coteau des Gardes on cheminait entre Trémentines et Nuaillé, on fut rejoint par des gens d'aspect assez martial, pieux aussi, mais avec un peu plus de fusils et un peu moins de chapelets. Ils venaient de Maulévrier, d'Yzernay, de Vezins, de Latour-Landry, paroisses perdues dans les bois et aux moeurs un peu plus rudes que celles du reste des Mauges... Du milieu de ces hommes, le chef se détachait avec un relief singulier, on l'appelait Stofflet... On le disait dur, brutal jusqu'à la violence ; en revanche, il était vigoureux, endurant la fatigue, d'une habileté prodigieuse à manier les armes et les chevaux, terrible, mais avec des accès de bonhomie et pour les braconniers qui le craignaient fort, il avait par intervalles des tolérances habiles qui surprenaient et qui charmaient. En lui se réunissait ce qui subjugue : la force, l'adresse, l'aplomb et tout ce monde inculte et rude qu'il entraînait à sa suite, lui trouvait un grand air de commandement ». Et c'est maintenant une armée de 12 à 15 000 hommes, sous les ordres de Stofflet, qui, au son des cantiques, marche sur Cholet, défendue contre l'attaque de ces roturiers par le marquis de Beauvau. Après la défaite et la mort de celui-ci, la capitulation de Cholet entraîne le soulèvement général du bocage.
Nous glisserons sur les détails de la carrière de Stofflet, qui selon lui, aurait assisté à cent cinquante combats (comtesse de La Bouëre). Il joua un rôle décisif à Doué, à Châtillon, à Cholet, à Baupréau et à la prise de Laval. Stofflet, premier général Vendéen, deviendra Major général de la Grande Armée et sera le dernier général en chef de l'armée des Rebelles de la Vendée, ainsi que le proclame l'affiche de son jugement qui se trouve au Musée de Nancy.
Pour ses compatriotes, Stofflet paraît un géant avec ses cinq pieds et cinq pouces, c'est-à-dire un peu plus de 1 m 75 ; son signalement militaire qui est vraisemblablement le plus fidèle, s'écarte notablement de celui que donneront ultérieurement ses fidèles, en particulier, Landrin, qui parle de son physique sec de ses cheveux noirs et de ses « chambes » un peu bancales. Ses soldats qui le redoutaient, tout en le respectant, l'avaient baptisé : Mistoufflet, Sifflet ou le Sabreur, mais ils ne consentaient à avancer que si M. Stofflet était en avant, payant de sa personne. Son coup d'oeil, ses connaissances militaires, la discipline sévère qu'il imposait à ses gens, en firent un des meilleurs capitaines de l'armée vendéenne. Crétineau-Joly le définit ainsi : « A côté de tous ces noms, la gloire et le patrimoine de la Vendée, on distinguait déjà un homme grand et robuste, au teint brun, aux yeux et aux cheveux noirs, à l'air dur, à la parole ardente, sous un accent lorrain. Cet homme s'était élevé bien haut dans l'estime de ses compagnons d'armes, par une activité, par une intelligence, une appréciation des événements au-dessus de son éducation, c'était Nicolas Stofflet, garde-chasse du château de Maulévrier ; Stofflet qui de son humble bandoulière aux armes de Colbert, a su se faire une écharpe de commandement. Dès que les paysans l'eurent vu au feu, ils prirent confiance en cet homme endurci aux fatigues, si propre au commandement et d'une franchise qui souvent allait jusqu'à la rudesse. Lorsqu'on marchait au combat, ils demandaient : « Monsieur Stofflet est-il en avant ? » Quand la réponse était affirmative, plus sûrs même de leur courage, ils s'élançaient sans crainte ».
Stofflet allait à la bataille avec panache et au cri de « l'entends-tu Marie-Jeanne », il faisait joyeusement décharger sur les bleus, avec sans doute plus de bruit que de mal, la fameuse Marie-Jeanne, pièce de 12 en bronze aux armes de Richelieu, mascotte des vendéens, prise et reprise dans les batailles. Mais il ne supportait pas de se faire traiter de citoyen, et lors de la prise de Fontenay, l'enfant Grimonard, âgé de 7 ans, se fit rudement tirer les oreilles pour n'avoir pas su assez rapidement s'adapter à l'évolution politique.
L'iconographie historique concernant Stofflet est rare, surtout en Lorraine, mais nous pouvons nous le figurer d'après la statue de la salle de la Révolution du musée de Nancy, fidèle copie de celle de la Chapelle du bois d'Izernay ; il y est représenté dans son uniforme de garde-chasse avec le grand bicorne qui est conservé au musée de S.-Florent-le-Vieil ; il a gardé en brassard sa plaque de garde-forestier aux armes de Colbert qu'il continuait à porter en hommage à ses anciens maîtres auprès desquels après la paix, il n'aspirait qu'à reprendre ses fonctions de garde-chasse à Maulévrier. Mm e de La Rochejaquelein qui ne l'aimait guère, en fait, elle aussi, le vétéran d'un régiment allemand ; elle lui reproche son ambition, sa dureté, mais reconnaît que, brave, actif et intelligent, les officiers l'estimaient beaucoup et que les soldats lui obéissaient mieux qu'à personne. Le témoignage de ceux qui l'ont connu s'écarte tout de même souvent du portrait qu'en a fait une certaine histoire officielle : « Son air militaire, précise Coulon son secrétaire, le faisait prendre par ceux qui ne le connaissaient pas, pour un homme de grand rang », il ajoute : « Ses talents étaient uniques pour cette guerre, il faisait agir avec douceur, avec amitié ses paysans et à l'occasion, était dur et sévère de manière à les encourager à la victoire et à les contenir dans la défaite ; son courage était extrême ; dans la victoire, il savait se posséder et dans l'adversité, conserver le sang-froid des braves ; il faisait espérer à ses soldats que dans la revanche, on serait plus heureux ».
Le général d'Audigné cite en appendice de ses Mémoires, le manuscrit inédit de l'abbé Chevallier, curé de Ste-Lumine de Coûtais, ancien membre de l'Assemblée nationale de 1789 et ancien aumônier vendéen : « Stofflet est mort, hélas ! C'est un deuil national pour la Vendée, elle a perdu son bras droit..., c'était un homme d'un courage extraordinaire qui dans deux ans à peine, avait livré plus de cent cinquante combats. Quoique né de basse extraction, il avait des sentiments infiniment supérieurs..., mais ce qui fait de lui un grand homme, c'est qu'il ne s'en fit jamais accroire et que défiant absolument de lui-même, il n'agit jamais que par les lumières de son conseil. Si on a à lui reprocher quelqu'acte de violence, sa popularité lui avait gagné les coeurs et sa bienfaisance naturelle lui avait gardé l'affection. Il était né pauvre, il est mort pauvre...»
Pour les Vendéens, c'est un « homme de l'Est », Alsacien ou Lorrain peu importe, mais considéré de ce seul fait comme un homme dur, intransigeant sur la discipline « qui n'avait pas la délicatesse d'un Cathelineau ni d'un Bonchamp » ; mais il avait cependant l'art de plaire..., très affable à table et en société, parlant galanterie et chantant à couplets à son tour et à son rang, aimant les marches guerrières et cadencées, sobre dans les repas, jamais dérangé par le vin, ni bavard ni prodigue, le luxe ne régnait ni sur ses habits, ni sur sa table. Les auteurs de l'Ouest font souvent de Stofflet un Alsacien à l'accent « tudesque » (Crétineau-Joly, Brunisleau, Gabory, etc.). La confusion vient, ou s'est perpétuée, de ce que nombre d'ouvrages ont été écrits au temps où l'Alsace et la Lorraine annexées étaient unies par un trait d'union et d'éminents auteurs de l'Ouest ne se sont pas rendu compte de la gravité de leur erreur.
Stofflet voulait donner à ces paysans trop indisciplinés, un minimum d'organisation militaire. L'armée d'Anjou fut ainsi organisée en six divisions et dans chaque division, fut placée une compagnie de cinquante cavaliers qui furent appelés dragons pour les distinguer des chasseurs de Stofflet qui formaient deux compagnies (Comtesse de la Bouëre). Les fantassins, jaloux des cavaliers, les surnommaient ironiquement les « marchands de cerises ».
Il organisa aussi en petite cavalerie un corps de tambours dirigé par le célèbre major La Ruine, dont les roulements de caisses décidèrent souvent des défaites républicaines et scandèrent les entrées triomphales dans les villes conquises.
Dans son camp installé dans la forêt de Vézins, il créa un hôpital sous la direction du chirurgien Baguenier-Désormeau ; il y avait également son parc de réserve, une imprimerie, un atelier d'étoffes et d'habillement, une salpètrerie et une facture de poudre. Selon la tradition vendéenne, alors que Stofflet était en expédition, son camp fut surpris, à la suite d'une trahison, le 25 mars 1794 par la colonne républicaine de Crouzat et Grignon qui se livra à un massacre en règle, laissant sur place, plus de 2 000 victimes désarmées. Sur les lieux s'élève actuellement une chapelle que gardent les statues de Stofflet et de Cathelineau et ce « cimetière des martyrs » est signalé par des panneaux à plus d'une lieue à la ronde. Stofflet prévenu et renforcé par les soldats de Richard et de Marigny, attaqua avec 7 000 hommes fous de rage, les soldats de Crouzat et de Grignon, retranchés aux Ouleries à quelques kilomètres d'Ezernay. Après un violent combat il examina les massacreurs. A la bifurcation des chemins d'Yzernay et de Cerqueuex, se trouve actuellement un grand calvaire qui porte sur son socle massif, l'inscription suivante : « Croix élevée en 1894 à la mémoire des Vendéens tués dans les combats des Ouleries le 18 et le 27 mars 1794 ». Mais Stofflet ne s'en laissait pas imposer par les aristocrates et en particulier par les émigrés envers qui il nourrissait une prévention et à qui il ne manquait pas de donner des leçons, lorsque l'occasion s'en présentait. A Entrammes, s'adressant, un peu méprisant, à M. de S.-Hilaire, émigré breton : « Voulez-vous, lui dit-il que je vous montre comment dans notre armée, on enlève une batterie ? » Il fait sabrer les artilleurs par 12 cavaliers et tourne les pièces de Kléber contre les bleus. Il fit du chevalier de Colbert, frère de son maître, son ambassadeur auprès du comte d'Artois et on ne manqua pas de souligner que c'était le garde-chasse qui envoyait désormais en ambassade, les nobles, ses anciens maîtres. Il sut donner le commandement à des plébéiens et il distingua Cadoudal qui fut capitaine dans sa cavalerie. Par contre, il fut trop sensible aux intrigues des hommes d'église, en particulier, à celles de Barbotin qui signe sa première proclamation et surtout de Bernier, le futur négociateur du Concordat, qui n'ayant pu subjuguer Charette, se servit de Stofflet, avant peut-être de le livrer.
Jacques Cathelineau (le Saint d'Anjou) - Nicolas Stofflet
Selon Landrin son compagnon, les principes de Stofflet furent, religion, courage et fidélité. Il fut en effet fidèle dans ses amitiés, mais trop tenace dans ses aversions et on ne manqua pas de lui reprocher son animosité constante pour Charette, qui nuisit à la cause commune. L'exécution de Marigny, dont il ne fut qu'en partie responsable, continue également à lui être amèrement reprochée par tous les auteurs royalistes. Mais quelle que soit l'opinion que l'on ait de Stofflet, tout le monde s'accorde sur son courage ; Hoche lui-même qui a bien su distinguer les nuances de psychologie des Vendéens et des Chouans, dans sa proclamation à ces derniers, rendait un hommage à Stofflet, en opposant les « héros des fossés », (les Chouans) au courage de Stofflet. Ce courage s'affirma jusqu'au Champ de Mars d'Angers le 25 février 1796. En face du peleton d'exécution, il refuse le bandeau et s'écrie : « Eloignez-vous, je vais vous apprendre une fois de plus qu'un général Vendéen n'a pas peur des balles ». Donnant la main à son aide de camp le prussien de Lichtenheim, il commande le feu et tombe en criant : « Vive la religion.Vive le Roi ». Mais auparavant, il avait demandé aux soldats s'il y avait un Lorrain dans le peloton. Il remit sa montre au militaire qui sortait des rangs, en lui disant : « Tiens prends ceci en mémoire de moi ». Loin de nous de contester à Stofflet le titre de Vendéen qu'il revendiqua au moment suprême, il faut cependant constater qu'une de ses dernières pensées a été aussi pour son pays natal, le clocher de Bathelémont et les forêts de Lunéville. Mais c'est en Vendée angevine, dans la cour du château de Maulévrier qu'est élevé un monument à celui, « qui toujours fidèle à Dieu et au Roi, mourut en obéissant ». A Yzernay, une rue porte son nom et sa statue veille à l'entrée de la porte de la chapelle du « cimetière des martyrs » dans le bois de Vezins. Un calvaire a été érigé en 1977 à la Saugrenière à l'endroit où il fut capturé ; lors de l'inauguration de cette croix, l'abbé Gélineau s'exprimait ainsi : « Ce Lorrain, après avoir servi fidèlement le pays pendant seize ans, en qualité de caporal, était venu en 1787 comme garde-chasse chez le comte Colbert de Maulévrier. Disons seulement que cet homme simple, étranger au pays, qui n'était pas sans défaut et avait le caractère rude, avait gagné dès l'abord, la confiance de son entourage. S'il devint tout de suite un grand chef et un général indiscuté, damant le pion à beaucoup de nobles, plus cultivés et plus experts que lui dans l'art de la guerre, c'est parce que les paysans des Mauges se reconnurent en cet homme de caractère, indépendant, qui n'admettait pas de plier sous la force injuste et qui demeurait, envers et contre tout, fidèle dans sa Foi et loyal dans l'adversité ».
Dans le cimetière de Valhey, à quelques kilomètres de Bathelémont, sur la croix de marbre d'une tombe bien entretenue est inscrit : « Famille Stofflet-Morisson ». La statue de Stofflet, réplique de celle du « Cimetière des Martyrs d'Yzernay, don de Edmond Stofflet se trouve dans la salle de la Révolution au musée Historique de Nancy, avec l'affiche du jugement d'Angers et un bon de 5 livres « de par le Roi », signé de Stofflet.
Dans les Hommes célèbres de Lorraine de Tribout de Morembert, Stofflet n'est pas cité. La Lorraine a eu un autre destin que la Vendée, et bien sûr Stofflet est, un personnage controversé, même par certains auteurs royalistes comme la marquise de La Rochejaquelein. Sa vie publique s'est d'ailleurs déroulée loin de son pays natal, ce qui ne favorise pas sa popularité en Lorraine. Mais, quel que soit le jugement que l'on porte sur lui, son rôle dans notre histoire ne peut être nié.
Un autre Lorrain a joué un rôle important, sinon de premier plan, du côté des « brigands ». Il s'agit d'André Baumler, né le 10 octobre 1740 à Reméringlès-Puttelange, près de Sarreguemines, fils de Joseph (ou Jean) Baumler et de Anne-Marie Buchholz de Nousseviller. Baumler fut aussi militaire pendant vingt quatre ans au régiment Colonel Général de Cavalerie et il fut amené dans le bas Poitou par le capitaine de dragons de Montaudouin, dont il devint le régisseur à la Bonnetière de S.-Urbain, près de S.-Gervais. Son mariage avec Marie-Paule Mornet de Challans le fixa définitivement dans le pays. Sous les ordres du chirurgien Jean-Baptiste Joly, il souleva le marais de S.-Gervais et fut selon Chassin, le plus actif des préparateurs et des promoteurs de l'insurrection de la basse Vendée. Il fit partie du comité royaliste de Challans en 1793 et avant l'attaque des Sablesd'Olonne, il adressa le 14 mars 1793 aux administrateurs de Challans, réfugiés dans cette ville, la lettre suivante : « Mes très chers frères, nous vous écrivons les larmes aux yeux, les armes à la main, nous ne demandons pas la guerre, mais nous ne la craignons pas... Nous sommes ici au moins 18 000 hommes assemblés de toutes les paroisses circonvoisines, à chaque minute, il en arrive d'autres. Tous ont décidé de mourir pour la victoire. Vous n'ignorez pas tout le désastre qui afflige la ville de Machecoul et beaucoup d'autres ; nous avons l'avantage de ne pas affliger cette ville à ce point. Nous avons l'intention de faire une bonne et solide paix avec vous, si vous voulez nous accorder seulement quelques conditions qui nous paraissent on ne peut plus justes, intéressantes. Nous vous demandons :
1) La continuation de notre religion catholique, apostolique et romaine et des prêtres non conformistes ;
2) Qu'il ne soit point procédé au tirement ;
3) Suppression de toute patente ;
4) Suppression de l'arrêté du département qui ordonne aux pères des enfants émigrés et à leurs parents suspectés de se rendre au chef-lieu.
Signé La Garde Royale, composée à Challans.
Ainsi furent définis par un Lorrain ce que l'on a pu appeler les buts de guerre des Vendéens.
Lorsque Charette fut élu général en chef des armées royalistes du Bas-Poitou et du pays de Retz, le 9 décembre 1793, Baumler combattit sous ses ordres. Mais d'un caractère humain, il fut irrité par les cruautés des combattants des deux bords, en particulier, celles de Pageot, lieutenant de Charette. En face d'un adversaire, en apparence modéré, le général Broussard, il fit au milieu de 1794 sa soumission, entraînant 3 500 insurgés et la pacification du Marais. Malgré les cartes de sûreté délivrées à ceux qui se soumirent, les représentants Bô et Ingrande firent arrêter par des patrouilles et mettre à mort comme des rebelles, pris les armes à la main, « les cultivateurs » qui, écrit Mercier du Rocher, « étaient venus déposer leurs armes entre les mains des autorités constituées, prêter le serment de maintenir la République et qui étaient retournés avec des cartes qui énonçaient leur soumission à la loi ». Baumler qui s'était retiré tranquillement à Challans fut arrêter malgré le général Broussard. Considéré comme « un des principaux auteurs de la mort de plus de 100 000 républicains », le « pacifié et pacificateur Baumler » (Chassin), fut guillotiné place du Bouffay à Nantes, le 17 thermidor an II (4 août 1794) 8 jours après la chute de Robespierre. A la suite de ces exécutions, la guerre civile se ralluma plus furieuse que jamais dans le Marais. Joseph Rousse constate que Baumler a eu un rôle moins brillant mais plus humain que son compatriote Stofflet : il s'étonne du silence des historiens tels que Crétineau-Joly, alors que cent ans après les faits, le souvenir du vaillant Lorrain n'était pas éteint dans le Marais vendéen.
La Vendée militaire utilisa un autre général qui porte un nom illustre au pays messin. En effet, le marquis Louis Thomas de Pange, passa peut-être en 1791, par le beau château que nous connaissons, avant de gagner l'armée de Condé ; ultérieurement, commandant la cavalerie royaliste de l'armée de Rennes, puis chef de division de Chouans, il fut tué soit au combat le 29 juin 1796 dans une « pièce de genêts », près d'Ancenis, soit plus vraisemblablement, blessé et hors d'état d'être transporté, il fut surpris et massacré dans son lit par les patriotes.
Ainsi ont été rappelés brièvement quelques figures de Lorrains, chefs dans l'Armée Catholique et Royale de Vendée. Mais celle-ci avait recruté également de nombreux soldats issus de l'Est. En effet, les transfuges étaient nombreux de part et d'autre et un bon moyen de passer à la rébellion, était de s'engager dans les troupes de la République, de faire, sans passe-port, aux frais de la Nation, les étapes vers les pays insurgés et de changer de camp à la première occasion. Il faut noter que les désertions se faisaient souvent en masse ; ainsi en fut-il du 77erégiment d'infanterie, ci-devant Lamarck, recruté en Alsace ; de nombreux soldats restés fidèles à la monarchie passèrent à Charette qui leur parla du roi, parmi ceux-ci Pfeiffer, fidèle garde du corps, homme de main de Charette, appelé par les Vendéens, le « féroce allemand ». S'il agissait trop souvent férocement, il mourut en héros le 3 mars 1796 à la Guyormière : Les « bleus » qui talonnent Charette et qui vont finir par le prendre, tirent sans arrêt sur celui-ci, qu'ils reconnaissent à son panache blanc. Pfeiffer s'en aperçoit, il arrache le chapeau de son maître, le coiffe et part en courant, attirant ainsi la poursuite de la fusillade des « bleus ». Atteint de trois balles il s'effondre en criant avant de mourir : « C'est moi Charette », accordant ainsi quelque répit à son chef .
Cet épisode eut une répercussion quelques jours plus tard, car après la capture de Charette, il contribua à entretenir le bruit que l'on avait capturé un faux Charette ; ce fut une des raisons qui, afin de détromper l'opinion publique, décidèrent de la parade funèbre et tragique de Charette à travers les rues de Nantes qui avait vu son triomphe l'année précédente.
Nous n'avons pas pu évoquer tous les Lorrains et tous les Alsaciens qui se sont distingués dans les guerres de l'Ouest. Notre exposé, bien qu'incomplet, s'est volontairement limité à la Vendée militaire ; d'autres chapitres auraient pu étudier l'action de nos compatriotes dans les départements chouans du nord de la Loire : la Normandie où le Chevalier Louis de Bruslart de Thionville fut l'adjoint de Frotté avant devenir, après l'exécution de celui-ci, commandant en chef de la chouannerie normande ; le Morbihan où Cadoudal eut parmi les Lorrains de fidèles lieutenants : Jacques Koble de Framont dit la Ronce, Joseph-Henri Brech de Nancy dit la Bonté , son artilleur, Jean-Baptiste Picoré de Flin dans la Meurthe, les frères Roger de Vicherey, dont Michel dit Loiseau, le suivra à la guillotine, accompagnant également Coster de Saint-Victor d'Epinal.
Serait-il hors de propos de rechercher ici, dans l'Est, les liens qui nous rattachent à la Vendée et à l'Ouest et d'évoquer quelques circonstances où notre histoire croise, chez nous, sur notre sol, celle des Français de l'Ouest ? Est-il nécessaire de rappeler que le Chardon et la Croix de Lorraine nous ont été légués par les Angevins ?
Quant à la Croix de Lorraine et au Coeur Vendéen, il n'y a qu'à regarder nos murs pour s'apercevoir que ces symboles n'ont ni l'un ni l'autre perdu leur puissance d'évocation. Parmi les interrogations qui peuvent se poser à propos des événements de la Vendée, retenons celle-ci, qui intéresse la Lorraine ; Chiappe, dans son livre La Vendée en Arme se demande « pourquoi la région nancéïenne, catholique et royaliste, sentimentalement attachée à Marie-Antoinette, ne bouge pas, alors que le pays de Rodez, individualiste et teinté de catharisme écoute la voix de M. Charrier, assez forte pour faire chouanner les campagnes albigeoises ». La réponse paraît à priori simple. La déclaration de guerre au « roi de Bohème et de Hongrie », date du 21 avril 1792, près d'un an avant l'insurrection vendéenne : les hostilités qui avaient déclenché les réflexes patriotiques propres aux frontaliers commencèrent avant le 10 août, les massacres de septembre et l'exécution de Louis XVI, événements qui ébranlèrent plusieurs mois après les paysans de l'Ouest, qui, eux, n'étaient pas confrontés avec l'invasion.
Chez nous, l'Armée des Princes acompagnait des « Libérateurs » qui se comportaient en envahisseurs, et de ce fait, ne bénéficiait pas d'un préjugé favorable. Une partie de la Lorraine avait, déjà à cette époque, changé trois fois de régime en cinquante ans : c'est pourquoi certains de ses habitants ont subi avec philosophie et passivité le début des événements et ont observé les nouveaux changements dans une prudente expectative. Il faut tenir compte aussi de la géographie. Autant il est possible de chouanner dans le bocage ou le pays ruthène à l'habitat dispersé, autant ceci est impensable dans la campagne lorraine, pays de vaine pâture, aux horizons dégagés et à l'habitat concentré. Enfin, la répression en Lorraine n'a pas été aussi odieuse que dans l'Ouest, et n'a pas laissé la même impression dans la mémoire collective. La soeur de Stofflet, revenue au pays de Lunéville, mère de famille et veuve, fut emprisonnée et ses biens confisqués. Mais les autres membres de la famille, habitant des campagnes paisibles, ne furent guère inquiétés. Que fut-il advenu d'eux s'ils avaient habité le pays de Jacques Cathelineau, de Jean Cottereau ou de Georges Cadoudal ?
En effet, les petites Vosges, régions boisées, difficilement penetrables ont donné plus de mal aux administrateurs et le culte réfractaire n'a pu en être complètement extirpé. L'unanimité était loin d'être la règle, en particulier, si l'on en juge par ce qui s'est passé à Longwy et à Verdun, où à l'inverse de la Vendée, c'est le chef d'un Bataillon de volontaires recrutés en Maine & Loire qui s'opposa aux royalistes lorrains. L'état d'esprit évolua avec les événements et en 1791, les campagnes menées par le Clergé réfractaire, entraînèrent une véritable guerre sainte dans les districts de Sarrebourg, Dieuze et Château-Salins. Les habitants des communes de Gondrexange, patrie de Soeur Odile, ravagèrent les forêts de l'état.
Bathelémont-les-Bauzémont ne fournit aucun volontaire à la première conscription et dans le district de Sarrebourg la levée de 1791 fut particulièrement laborieuse. Le 7 juin 1795, les femmes du peuple déclanchèrent une émeute à Metz aux cris de : « Pas de cocarde, pas de République ! ». Le 6 pluviôse an IV, Varion, agent municipal de Bousse en Moselle, se plaint que le « département de la Moselle va bientôt devenir la proie du fanatisme et qu'Ay, commune célèbre par son patriotisme au commencement de la Révolution, ne présente plus aujourd'hui, qu'un repaire de Chouans et de Malveillants ».
En 1796 des processions immenses, bannières en tête, encadrées d'hommes armés parcoururent les districts de Bitche, Boulay, Sarreguemines. Enfin, n'oublions pas que la proximité de la frontière permettait aux opposants et aux réfractaires d'émigrer dans des pays ayant souvent avec eux une communauté de langue. Ceux qui voulaient en découdre avec les patriotes pouvaient ainsi s'engager facilement dans l'armée des Princes et Gain insiste sur l'importance d'une émigration que l'Europe n'avait pas vue depuis la révocation de l'Edit de Nantes. François Roth estime que la Moselle se place, pour l'émigration au premier rang des départements français. Selon le duc de Castries, elle serait le quatrième des départements pour l'importance de son émigration, après toutefois, le Var, les Bouches-du-Rhône, et surtout le Bas-Rhin d'où en décembre 1793, 22 000 habitants ont fui en panique, réalisant à eux seuls, le sixième des émigrés. Nous avons vu que le nom d'un certain nombre d'entre eux se retrouve sur le monument de la Chartreuse d'Auray, élevé en mémoire des morts et des fusillés de la campagne de Quiberon.
Texte tiré de : documents.irevues
23:42 | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : histoire, lorraine, vendée, stofflet, contre-revolution
Commentaires
A nouveau une tres belle page d'histoire de nos vaillants défenseurs et martyrs de notre cause et dont il est nécessaire de garder le souvenir et de le transmettre à nos enfants. Pour Dieu et le Roi
Écrit par : vernier jacques | 10/02/2013
Excellent article et très bien documenté! La Lorraine peut être fière de ses Chouans et Vendéens.
Nicolas Stofflet est bien évidemment un personnage mythique des Guerres de Vendée, mais je vous donnerais une mention spéciale pour ce André Baumler, que je ne connaissais pas.
Écrit par : V.F.H.78 | 10/02/2013
Serait-il possible de m'en envoyer une copie en PDF pour usage personnel? Merci d'avance
Écrit par : CC(r) François Romain, Conseiller aux Armées du Conseil dans l'Espérance du Roy | 10/02/2013
Bravo pour cet hommage aux « Vendéens de l'Est » !
Outre Stofflet, le plus célèbre, il faut également honorer la mémoire d'André Baumler (né en 1740 près de Sarreguemines, guillotiné à Nantes une semaine après la mort de Robespierre) qui a combattu dans le Marais sous les ordres de Joly, puis de Charette.
Écrit par : Nicolas | 16/02/2013
J'oubliais : le docteur J.-M. Rouillard a publié dans les Mémoires de l'Académie nationale de Metz, en 1986, un article intitulé « Gens de l'Est dans les Guerres de l'Ouest » qui répertorie les Lorrains, Alsaciens et autres, engagés aux côtés des Bleus ou des Vendéens.
Écrit par : Nicolas | 16/02/2013
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